samedi 7 février 2009

The Night - Lise Veverka

Exploitant l’héritage du philosophe Gilles Deleuze dont les travaux visaient à conceptualiser le 7ème art, l’œuvre audiovisuelle de l’artiste Michael Roy s’inscrit néanmoins en rupture avec les codes du cinéma traditionnel. Cet artiste né à La Rochelle en 1973 utilise une multiplicité de media (dessins, peintures, affiches, objets, textes, wall painting, installations...), dont la vidéo ; il a glané ici et là au fil des années les images de son quotidien et du notre, les compile à la manière d’un journal, puis les monte sans logique apparente si ce n’est chronologique. Chaque scène possède sa propre autonomie ; l’univers personnel de l’artiste, souvent nocturne, est relayé par ses multiples prises de vues prises au hasard de ses déambulations en France ou ailleurs. Pour autant, on ne peut analyser ses films comme un journal intime puisque tous les éléments ou indices trop lisibles et proches de l’artiste sont coupés ; l’objectif sert de filtre entre la réalité de l’artiste et celle du spectateur. Les scènes sont fragmentées, sorties de leur contexte pour mieux sortir de l’intimité de l’artiste.

La particularité principale réside dans le fait que les films de l’artiste ne sont jamais écrits ou pensés avant d’être filmés ; les séquences sont visionnées, sélectionnées puis coupées au moment du montage. Sa manière de filmer ne se veut ni narrative, anecdotique ou descriptive. Film sans scénario l’artiste s’émancipe de la forme préconçue qui veut que le film donne à voir une histoire.

Assemblages de scènes hétéroclites, ses vidéos à première vue ne laissent place à aucune cohérence temporelle (un paysage enneigé montré le temps de quelques secondes laisse place subitement à la scène d’un homme torse nu marchant sous le soleil écrasant) ou spatiale (les lieux n’étant pas un critère de tournage (1), seulement les scènes qui s’y déroulent). Même lorsqu’un film comme « Forest Knoll Drive » (2) est tourné dans un endroit précis, Los Angeles, l’enchainement de scènes rétif à toute logique prédomine ; des scènes en couleurs ou en noir et blanc, intimes ou collectives, des portraits très serrés ou des paysages étendus cohabitent.

Définalisée, l’histoire, qui n’en est pas une, opère plutôt comme une boucle obsédante. La perte de repère est accentuée par une bande son passée au ralenti et à rebours. Le concept de temps comme forme immuable est renversé. L’environnement sonore dans lequel le spectateur est immergé fait écho à son imaginaire et l’incite au souvenir.

Pourtant les séquences s’enchaînent de manière fluide, naissent et disparaissent à la manière d’un songe. Vibrations de l’air, mises au point erratiques et images floutées, cadrage décentré, séquences en infrarouge ; la dimension onirique est prégnante. La logique finalement est celle d’un rêve, d’images souvenirs communes que l’on se remémore à partir d’un micro événement entraperçu ou imaginé. «L'image-souvenir» et «l'image-rêve», deux concepts essentiels dans "l'image-temps" de Gilles Deleuze (3) constituent la pierre angulaire du travail de l’artiste: "lorsqu'on n'arrive pas à se rappeler, le prolongement sensori-moteur reste suspendu...", le souvenir intervient alors avec ce qu’il emporte d’associatif mémoriel, de métaphores, de significations et de l’utilisation du flashback, largement utilisés dans le cinéma traditionnel, habitent les images de l’artiste, empreintes d’une poésie mélancolique.
On en ressort un peu déboussolé, comme dans un rêve éveillé. C’est donc bien à une expérience personnelle que nous convie Michael Roy ; il suggère que l’image est éminemment subjective. A chacun d’en donner sa lecture, d’imaginer ou de se l’approprier...


Notes

(1) Dans Remember last summer I, vidéo (29.30min) 2001-2004, courtesy Galerie Alain Gutharc et Remember last summer II, vidéo (28.55min) 2004-2007, courtesy Galerie Alain Gutharc.
(2) Forest Knoll Drive, vidéo (19.15min) 2007, courtesy Galerie Alain Gutharc.
(3) Gilles Deleuze, L’Image-temps, Les Editions de Minuit, Cinéma 2, 1985 et également Gilles Deleuze, L’Image-mouvement, Les Editions de Minuit, Cinéma 2, 1983 - L’image mouvement, faisant davantage référence au cinéma classique et l’image temps, au cinéma moderne.


http://www.edit-revue.com

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